Evénement attendu du festival 2021, la création du cinquième opéra de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho a laissé le public sonné. Du livret à la mise en scène, tout promet à cette oeuvre sombre et forte un avenir dans les plus grandes salles internationales.
Un triomphe. Etrange réaction, somme toute, d’un public d’Aix qui remercie une équipe artistique de l’avoir éprouvé. Le scénario d’ « Innocence » et son traitement musical n’ont en effet rien de distrayant. Le livret de l’écrivaine finlandaise, Sofi Oksanen (traduite et appréciée en France : « Purge », notamment), parfaitement conçu pour la scène, met en parallèle un mariage et un drame survenu dix ans plus tôt. Un de ceux dont l’actualité récente ou le cinéma (« Elephant » de Gus van Sant) se sont fait l’écho : le souffre-douleur d’une classe en devient le meurtrier. La famille du marié fait tout pour effacer son souvenir mais la présence fortuite d’une serveuse au banquet va le faire remonter à la surface.
Mené comme un thriller, le récit fait se télescoper passé et présent avec une rare intensité et permet à chacun de livrer sa version des faits, questionnant ainsi l’objectivité du regard. Comme pour densifier le propos et enrichir la polyphonie, le livret convoque neuf langues, du français au grec, car l’action s’est passée dans un lycée international, et des styles d’expression très variés, de la mélodie au parlé. Treize chanteurs et acteurs prennent ainsi part à cette histoire à double parcours qui tient le spectateur en haleine et le saisit dès les premières notes, grondement chthonien né des tréfonds du piano, du contrebasson et des percussions.
Raffinement suprême
Une fois de plus, Kaija Saariaho, soixante-huit ans, se distingue par une musique d’un raffinement suprême, d’une exceptionnelle subtilité dans les alliages de couleurs instrumentales mais aussi dans l’efficacité dramatique. Elle a l’insigne talent de savoir composer une musique indubitablement de son temps qui sait toucher un large public. Sa compatriote Susanna Mälkki, à la tête de l’Orchestre symphonique de Londres, en magnifie le moindre détail sans jamais perdre le fil directeur. Un plateau vocal impeccable participe également à cette éblouissante réussite musicale. On signalera Magdalena Kožená en serveuse bouleversée et obstinée et l’étonnante Vilma Jää, qui interprète sa fille, à qui Kaija Saariaho a confié un chant nourri de la tradition populaire finlandaise ou bien encore, Sandrine Piau et Tuomas Pursio, parents du marié qui tentent désespérément d’étouffer l’affaire.
Autre complice de ce triomphe, Simon Stone, qui a échoué en voulant réécrire « Tristan et Isolde », quand, dans cette production, il se conforme au livret. Une tournette permet ainsi de voir, au gré de la narration, la salle de banquet, la cuisine, la salle de classe, les couloirs du lycée, dans lesquelles évoluent des personnages réglés au millimètre. Sombre, pesant, mais profondément émouvant, cet opéra devrait connaître une large diffusion. Espérons que l’Opéra de Paris qui, pour la création, a eu souvent la main si malheureuse, ne fera pas la sourde oreille.
INNOCENCE
Festival d’Aix-en-Provence
de Kaija Saariaho
Direction musicale de Susanna Mälkki. Mise en scène de Simon Stone.
A Aix, Grand Théâtre de Provence, www.festival-aix.com
jusqu’au 12 juillet. 1 h 45 sans entracte.
En direct sur Arte Concert le 10 juillet.
Philippe Venturini